vendredi 26 juin 2009

Une situation iranienne bien compliquée...

En l'absence de communication réelle avec les iraniens sur place, il est devenu difficile de savoir ce qui se passe là-bas. Et il est évident que l'on ne peut compter sur les médias occidentaux complètement gagnés à la cause du capitalisme néo-libéral.
Ce qui est certain, et cela tous les analystes un peu sérieux le disent, c'est qu'il ne s'agit pas d'une révolution populaire comme nous l'entendons. Le peuple ne se soulève pas contre l'oppression. Il n'est pas uni derrière un leader charismatique et humaniste. Il ne rejette pas la tyrannie.
Je ne vais pas me lancer ici dans un long billet sur l'Iran. Mais en considérant la situation actuelle en Iran, voici quelques clés qui me viennent d'une observation purement bouddhique de l'événement. Par bouddhique, j'entend une vision  qui considère les faits à la lumière du principe de causalité bouddhique, de l'action des gens (karma), de la force d'inertie (obscurité fondamentale) et de l'effet pervers des intérêts personnels et collectifs (les trois poisons) purement égoïstes.
L'Iran est, depuis le renversement du Shah en 1979, un Etat religieux, c'est-à-dire qu'il présente une forme de gouvernement où la religion traditionnelle locale dispose de toutes les prérogatives et des pouvoirs normalement dévolus aux institutions politiques représentatives. C'est un facteur clé qui passe souvent au second plan et que tout le monde oublie tant on a l'habitude de la séparation plus ou moins évidente de l'Eglise et de l'Etat en Occident. En Iran, il n'y a pas de séparation entre l'Eglise et l'Etat. L'Eglise est l'Etat.
En ayant à l'esprit cette condition, il faut également prendre conscience (s'éveiller quoi !) que l'Iran est l'une des toutes première puissances pétrolières et qu'elle ne subit pas comme ce fut le cas pendant longtemps d'isolement économique et financier. Cette marge de manœuvre a été obtenue après une guerre terrible et inutile que tout le monde semble avoir oublié, le conflit Irano-Irakien de 1980 à 1987. Depuis la signature d'une paix fragile en 1990, l'Iran dispose d'une réelle présence régionale et d'une capacité économique mondiale. Cela a été accentué par sa neutralité pendant la première Guerre d'Irak en 1991.
L'Iran n'est donc pas une sorte de pays du tiers-monde, une république bananière sans foi ni loi, livrée à des arriérés sortis tout droit d'un film d'action américain. Mais revenons à nos moutons...
En dépit d'un régime théocratique (dominé par l'Eglise), le peuple iranien est très éduqué (beaucoup plus que nombre de ses voisins directs) et les composantes du gouvernement ne sont pas toutes d'accord sur les moyens et les objectifs du régime gouvernemental. Ces tensions et divergences ne s'expriment pas seulement sur des interprétations de la Charî'a (Loi musulmane), du Coran (corpus de référence théologique) ou des Hadîth (les enseignements oraux du Prophète). Elles portent également sur des principes politiques et sociaux liés à l'éthique, à la citoyenneté, aux représentations de la modernité orientale, etc. Toutefois, tous ces courants s'inscrivent dans la tradition musulmane, c'est-à-dire dans une représentation du monde séparé en deux camps : nous, les fidèles, et les autres.
Dernier point important à avoir à l'esprit en considérant l'hypothèse d'un soulèvement populaire : les événements de 1999. Déjà à cette époque, la société iranienne a été secouée par des remous populaires. Après coup, on a pu mesurer et constater qu'il s'agissait déjà d'une lutte de factions à la fois politiques et religieuses au sein des différentes tendances du pays. A l'issu de ces remous et d'une répression identique à celle que nous apercevons aujourd'hui, la tendance dure et nationaliste de l'Ayatollah Ramenei (flanqué d'un Gardien de la Révolution, M. Ahmadinejad) l'emportait sur des tendances plus libérales (mais tout aussi religieuses et parfois même intégristes) de la classe politique iranienne. Ces tendances se sont fédérées autour de figures politiques qui ont poursuivi un combat essentiellement politique en essayant de gagner à leur cause des religieux influents plus enclins à une réforme de la république islamique vers des modèles plus libéraux comme le modèle turc, l'ancien modèle irakien (et oui !) ou certains modèles du Maghreb (c'est-à-dire occidentaux) comme l'Algérie ou l'Egypte.

En ayant à l'esprit ce panorama rapide et quelque peu schématique, on peut se rendre compte de plusieurs choses :
— Ce qui se déroule n'est pas une révolution populaire, mais bien une contestation politique menée par plusieurs tendances concurrentes à celle qui conserve le pouvoir.
— Un soulèvement populaire n'est possible qu'avec l'aide des religieux, des militaires (et oui, ils sont toujours là eux), ou des chefs politiques les plus forts.
— Les puissances étrangères (U.S. en tête) cherchent depuis longtemps à déstabiliser le pays et à renverser l'actuel régime religieux. Mais englués dans un Afghanistan incontrôlable, pris au piège dans un Irak atomisé et paralysés par des tensions en Afrique orientale, en Corée du Nord et par une crise économique sans précédent qu'ils ont eux-mêmes laissé arrivée, les Etats-unis, comme l'Europe complice, sont dans l'incapacité d'intervenir dans un pays encerclé de montagnes et peuplé de gens qui détestent culturellement le modèle occidental (infligé par le Shah pendant plus de trente ans).

Il est évident que ce qui se joue en Iran fait partie d'un processus d'assouplissement de la doctrine de gouvernement islamique. Mais cela se fait lentement et selon des règles qui nous échappent à nous occidentaux. Le problème est que notre propre situation est difficile pour ne pas dire critique et que le fantasme d'une révolution populaire nous plaît beaucoup. Nous y voyons une sorte d'exutoire de notre propre incapacité, pour ne pas dire impuissance, à transformer nos économies capitalistes cannibales. Nous appelons de nos vœux une révolution populaire ailleurs, dans une contrée imaginaire, mythologique, qui nous donnerait l'illusion de pouvoir, nous aussi, renverser les tyrans et les profiteurs qui nous vampirisent.

Si nous cessons de projeter nos propres fantasmes sur la situation iranienne dont nous ne connaissons finalement que peu de choses et que nous comparons à d'autres événements historiques qui n'ont rien à voir (Tian'anmen, Révolution orange, etc.), nous pouvons observer les rouages et les complexités d'un processus politique et social. Nous voyons émerger un modèle démocratique qui doit faire face aux intérêts particuliers et collectifs de ceux qui détiennent les clés du pouvoir. Nous pouvons en tirer des leçons ou bien continuer de rêver à des chimères révolutionnaires dont le romancier Kirghiz, Chinghiz Aitmatov disait : « Je conseillerais vivement aux jeunes de ne pas trop compter sur une révolution sociale. La révolution est violence et émeutes, folie collective. C’est une violence collective qui apporte d’énormes souffrances à la société toute entière, à un peuple ou à une nation… Je les encouragerais à chercher un moyen de changer les choses sans effusion de sang, de réformer la société à la lumière de la raison. ». (cit. Propositions pour la paix, 26 Janvier 2009, D. Ikeda).

J'espère que ce billet aura éclairé certaines parties de l'actualité Iranienne. Je ne peux aller plus loin, n'étant pas iranien, n'ayant pas d'amis iraniens sur place, et étant tributaire, comme les occidentaux, de la propagande capitaliste pour m'informer sur la question.

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