dimanche 2 novembre 2008

Le culte du héros

Le héros... Figure emblématique de la culture classique grecque et mésopotamienne, le héros est aujourd'hui encore l'axe de toutes les communications, le point de focalisation de toutes les attentions, la colonne vertébrale des médias, le pilier idéologique de la mythologie contemporaine. Ce culte du héros est incarné, en ce moment même, par les coups de projecteurs sur une figure lointaine, sans intérêt pour nos problématiques internes et surtout sans influence directe sur nos existences. L'objet de cette attention particulière sur toutes les chaînes, sur toutes les fréquences et dans toutes les colonnes, c'est l'élection présidentielle américaine. Et comme tout spectacle, elle a eu lieu mercredi, jour des sorties cinéma.
En vedette, l'inattendu et déjà élevé sur l'autel des héros planétaires, Barack Obama, nouveau président des Etats-unis d'Amérique. Que ne sait-on pas de ce héros ? Des détails de son parcours ? De sa jeunesse ? De sa famille ? De ses ambitions et de ses espoirs ? Où que l'on pose les yeux ou que l'on dresse l'oreille, Obama est partout, omniprésent. Son éclat, son charisme, son image, ses mots et ses saluts à la foule monopolisent les écrans, les unes, les ondes, rendant tout autre message inaudible, secondaire, décevant.
Avec l'apothéose de cette élection américaine, nous atteignons un sommet dans la démocratie du spectacle et de la sensation. L'ensemble des problèmes présents et immédiats qui se dressent sur la route des français disparaît derrière l'« événement » américain. Comme si de cette échéance électorale outre-atlantique dépendait l'avenir de la France et plus généralement du monde. Ce messianisme, caractéristique des Etats-unis, alimenté par les médias et l'industrie hollywoodienne, continue de faire vivre la mythologie du héros, du sauveur au cœur d'une tourmente mondiale. Demain, le héros prendra les commandes de la première et apparemment seule puissance mondiale pour mener les peuples vers un avenir meilleur.
Ce culte du héros éclipse l'incapacité de cette même puissance mondiale à résoudre ses problèmes internes (Katrina, subprimes, krach financier) comme les crises qu'elle a déclenchées à l'extérieur de ses frontières (Irak, Afghanistan, Soudan, Balkans). Ce culte du héros stigmatise les acteurs de l'ancienne administration comme anti-héros, portant seuls la culpabilité de l'état général du monde et des destructions physiques et morales qui ont découlés de leurs décisions. Les électeurs sont dédouanés de leur responsabilité personnelle, de leur choix et on peut se demander comment Georges W. Bush a pu être réélu pour un deuxième mandat en 2004. Mais oublions cela. Le monde acclame ce nouveau héros, symbole des aspirations contradictoires du peuple planétaire, noir et blanc, beau et intelligent, modeste et humain, seulement intéressé par le bien et le bonheur de tous les êtres.
La capacité romanesque, que les anglo-saxons libellent « story-telling », des américains et plus généralement des occidentaux est extraordinaire. Elle se surpasse et permet, d'un seul geste de la main du héros et de quelques mots empruntés à d'authentiques héros d'un autre âge, d'occulter le pillage auquel se livre l'actuelle administration Bush, les atrocités perpétrées en Afrique, la récession générale de l'économie mondiale, la faillite des états et la montée du totalitarisme sous des formes plus ou moins discrètes partout dans le monde. La voix chaude et le discours franc, Barack Obama est souvent comparé à John F. Kennedy, autre sauveur de l'humanité qui doit à sa tragique disparition l'essentiel de sa gloire. Mais faut-il le rappeler, JFK était un homme de discours brillants et d'actions décevantes : la baie des cochons, la crise des missiles, le renforcement de la CIA et des services d'espionnage... Finalement, il restera l'homme des voyages sur la Lune et de l'abolition de la ségrégation et pas celui de la Guerre froide et des scandales conjugaux. Souhaitons à Barack Obama ne pas reproduire la trajectoire de son infortuné prédécesseur.
Barack Obama n'est pas JFK, ni Martin Luther King, ni même le rêve de Martin Luther King. Du moins pas encore. Et ce ne sont pas les quatre prochaines années qui changeront radicalement la condition de la grande majorité des noirs américains aux Etats-unis, ni celle des minorités hispanophones souvent originaires de l'immigration clandestine, ou encore de la cohorte d'ouvriers et de paysans américains écrasés par le rouleau compresseur de la mondialisation, puis atomisés par les dérives de la bulle financière. Quatre ans, c'est à peine ce qu'il faudra pour calmer les feux qui font rage en Irak et en Afghanistan et revenir à une situation de cessation des combats. Une issue pacifique réaliste n'est envisageable que dans un éventuel deuxième mandat. Obama fait face à un monde dans une situation de crise sans précédent. Kennedy devait faire face à des scénarios certes terrifiants mais imaginaires. Aujourd'hui, les changements climatiques, l'épuisement des ressources, les inégalités mondiales, les conflits multiples et l'implosion de l'économie capitaliste sont des situations bien réelles auxquelles de simples discours ne suffiront pas.
Non, Obama n'est pas au bout de ses peines. Et bien qu'il était impensable de voir un noir monter sur le trône de la première puissance mondiale, l'événement n'est pas une révolution. Le ras-le-bol général, l'insatisfaction populaire et la colère ont toujours été de bons ferments pour les revirements politiques. George W. Bush en a lui aussi bénéficier à la fin de l'administration Clinton. D'autre part, la structure même du gouvernement américain et des états américains ne laisse qu'une très faible marge de manœuvre réelle au président des Etats-unis. Dans sa mission de réforme des institutions et de renaissance de l'Amérique comme l'éternelle super-puissance, Obama devra combattre les républicains, les médias, les marchands de canons et le monde de la finance qui tous résistent du mieux possible à la remise en question de leurs statuts, de leurs pouvoirs, de leur richesse. Comme Kennedy en son temps, et c'est là le point commun, Barack Obama n'est pas un enfant de la balle. Il fait partie de l'élite, des nantis et des princes de ce monde. Et ce ne sont pas ses courtes expériences auprès de couches défavorisées de la population noire américaine qui lui octroie un quelconque titre de prince des pauvres et des opprimés.
Les quatre prochaines années devront être consacrées à produire les premiers efforts d'une authentique révolution culturelle américaine. Et les quatre suivantes à chercher des successeurs pour continuer cette révolution et la mener à son terme à l'horizon des quatre ou cinq prochaines générations. C'est une épreuve de force qui se pense dans le temps et au delà des échéances électorales. C'est aussi une reconstruction d'un esprit pionnier qui a façonner l'Amérique mais qui a aboutit à la crise actuelle. C'est ce défi que doit relever Barack Obama.
Le bouddhisme enseigne le principe des Huit vents, ou les huit situations qui troublent la perception de la réalité. Au cours des prochaines semaines et des prochains mois, Obama fera face aux quatre vents de la fortune, des honneurs, des louanges et du plaisir, mais aussi à ceux de la misère, de la disgrâce, de la critique et de la souffrance. Ces huit situations, induites par le milieu de tout individu, reposent sur la méconnaissance que nous avons des mécanismes d'interactions entre l'individu et son environnement. Nous avons tous tendance à raisonner en termes d'espoirs et de déceptions de ces mêmes espoirs. Nos espoirs sont la manifestation consciente de nos désirs et les déceptions proviennent de la frustration que nous ressentons de voir que nos désirs ne se réalisent pas. Plus simplement, cette polarité espoirs-déceptions provient de notre incapacité à prendre en main notre vie et à en être responsables.
Si Obama ne parvient pas à s'extraire de la dualité qui emprisonne les masses : espoirs-déceptions, il continuera d'alimenter une machine infernale qui est la cause de toutes les catastrophes auxquelles nous sommes confrontés : violence, rapacité, bêtise humaine. Les discours électoraux sont porteurs d'espoirs, de rêves, de désirs. Leur concrétisation est souvent bien en de ça de l'imaginaire que nous y avons investit. Il faudra donc à Barack Obama, dès les premiers mois de son mandat, transformer ces espoirs en projets. Il pourra ainsi sortir de la polarité espoirs-déceptions pour entrer dans une nouvelle dynamique de projets-réalisations. Cette démarche réaliste, qui demande une grande participation populaire et une adhésion volontaire et responsable est ce que le Mahatma Gandhi avait réussit à établir en Inde au siècle dernier. C'est aussi ce que Martin Luther King avait initié dans les traces du Mahatma. C'est là que réside la clé de la réussite du nouveau président des Etats-unis.
Pour l'heure l'élection américaine occupe le devant de la scène. Le héros brille dans la foule. L'ennemi de ce nouveau héros n'est pas l'opposition, ni les difficultés qu'il va affronter. Son ennemi est ce que le cinéaste américain John Ford évoque au travers de l'un de ses personnages dans L'Homme qui tua Liberty Valence en déclarant : « Quand le mythe dépasse la réalité, on publie le mythe. »

vendredi 24 octobre 2008

L'illumination de Jean-Louis Borloo

Première conséquence du bouclage du Grenelle de l'environnement, fabricants et distributeurs d'ampoules à incandescence se sont engagés à remplacer ces dernières par des ampoules basse tension entre 2009 et 2012.
Cette initiative faisait partie des décisions du Grenelle de l'environnement à plus d'un titre. Les ampoules à incandescence, dont la technologie a très peu évolué en 50 ans, consomment jusqu'à cinq fois plus d'électricité que les ampoules fluocompactes et ont une durée de vie huit fois inférieure. Les conséquences à moyen et long terme sont un coût plus élevé de la consommation d'énergie, du prix des ampoules (finalement, on en achète plus), et une plus grande pollution due aux emballages plastiques qui accompagnent les ampoules actuelles.
Il était temps de changer de mode d'illumination et de permettre à la bonne vieille ampoule d'Edison, inventée il y a 127 ans, d'entrer au musée ! Car selon le Ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire de Jean-Louis Borloo, cette transition vers l'ampoule basse-tension permettra l'économie de 8 térawatts-heure d'électricité... Pour se faire une idée, cela représente la consommation électrique de Paris et proche banlieue pendant deux ans. Cela donne aussi l'ampleur du gaspillage auquel nous nous sommes tous livrés pendant les trente dernières années.
L'illumination de Jean-Louis Borloo, sur ce dossier, a dépassé le cadre de la transition entre lampe à incandescence et lampe fluocompacte. Le même jour, jeudi 23 octobre, il a réuni l'ensemble des acteurs de l'emballage (entreprises de l'agro-alimentaire, de distribution et de recyclage des déchets plastiques) pour leur faire signer une convention de réduction des déchets plastiques dû au sur-emballage. Car en dépit de son envie d'une planète moins polluée, le consommateur français continue d'avoir une nette préférence pour les produits sur-emballés qui finissent par peser lourd dans son sac poubelle et par conséquent sur l'environnement. Qualifiant cette convention « d'antidote contre la schizophrénie » (Métro, 24/10/08), Jean-Louis Borloo s'est dit satisfait d'ouvrir « trois axes de progrès principaux : le renforcement de la prévention, l’optimisation de la collecte sélective pour accroître le taux de recyclage jusqu’à 75% à fin 2012 (on est à 62% aujourd’hui) et l’amélioration de l’information des consommateurs » (Métro, 24/10/08). De son côté, Nathalie Kosciusko-Morizet enfonçait le clou en déclarant : « Avec 360 kg de déchets/an/habitant en France, nous sommes 100 kg au-dessus des Japonais: il n'y a aucune raison » (L'Express, 24/10/08)
Toutes les décisions ayant des conséquences diverses, il faut maintenant s'attaquer aux revers de ces initiatives. Quels emballages et comment les concevoir de manière écologique sans un coût excessif pour le consommateur ? Voilà la grande question qui reste en suspens pour le remplacement des emballages plastiques polluants.
En ce qui concerne les ampoules fluocompactes, le problème risque bien de s'avérer plus complexe et surtout plus épineux. Plusieurs instituts de recherche ont fait la démonstration que l'émission de radiations des ampoules basses tension sont très supérieures aux ampoules à incandescence. Assez supérieure pour que l'on recommande sérieusement de ne pas les utiliser comme lampe de chevet ou de bureau. Le bombardement UV est également un inconvénient puisque la plupart de ces ampoules ne disposent pas de filtres de protection comme la plupart des néons classiques. Enfin, la présence de 6 à 10 grammes de mercure dans les composés du gaz des ampoules fluocompactes en font un déchet extrêmement toxique une fois l'ampoule usagée... Les répercussions de ce choix se portent non seulement directement sur l'environnement mais aussi sur la santé publique.
Ces mesures forment un premier pas déterminant dans la lutte pour la réduction des gaspillages et de la pollution mais elles doivent se poursuivre par une politique à moyen terme de réduction de nouveaux risques pour la population. Si le ministre du développement durable entrevoit enfin la lumière, il n'est pas encore au bout du tunnel.

mercredi 22 octobre 2008

Des étoiles au pays du curry

Aujourd'hui, l'Inde, berceau du bouddhisme et patrie du curry, a parfaitement lancé sa première fusée d'exploration de la Lune. A trois heures moins dix (heure de Paris), la fusée PSLV s'est arrachée à la gravité terrestre pour aller rejoindre l'orbite lunaire à 380 000 kilomètres d'ici. A son bord, elle emportait l'engin sonde Chandrayaan-1 destiné à effectuer des études topographiques, des recherches et des expériences orbitales ainsi qu'un sondage au sol pour essayer d'y trouver de l'eau, certaines substances chimiques et certains minéraux.
Cette mission spatiale inhabitée est à la fois une opération symbolique démontrant le statut de super-puissance de l'Inde et une authentique mission à visées commerciales et scientifiques qui sera suivie par au moins 60 vols spatiaux d'ici 2013, aussi bien vers la Lune, que dans l'orbite terrestre et vers Mars. Après la mission lunaire japonaise de fin 2007 et l'annonce chinoise de la construction et de la satellisation d'une station spatiale asiatique, la mission indienne s'inscrit dans une volonté de l'Orient de faire la démonstration qu'il n'a plus réellement besoin de l'Occident.
Finies les visions exotiques et fantaisistes de l'Inde arriérée du tiers monde. Une sonde, dernier cri de la technologie, aux couleurs indiennes, tournera autour de la Lune et au-dessus de nos têtes dès le 8 novembre 2008, pendant deux ans. Le ciel, autrefois domaine des dieux, puis royaume de Dieu, est maintenant l'espace des hommes. Et il se pourrait bien que dans un proche avenir ce ne soit pas un américain ou un anglais au teint bien blanc et aux manières occidentales qui soient aux commandes de l'Enterprise de Star Trek.
Le Japon, la Chine et l'Inde se lancent à la conquête de la Lune et en feront probablement leurs bases de lancement d'un vaste programme spatial vers Mars et vers les planètes les plus proches de la Terre. Les yeux et les esprits tournés depuis des siècles vers le ciel, sans aucune crainte de défier une hypothétique puissance divine assise sur un trône derrière les nuages, les asiatiques ne considèrent pas la Terre comme la dernière frontière. Leurs ambitions, leur détermination et leur nombre en font des candidats de choix pour réussir là où l'Occident a échoué : aller là où nul homme n'est jamais allé pour y découvrir ce qu'il nous reste vraiment à découvrir : l'infini.

lundi 20 octobre 2008

L'esprit de recherche de Valérie Pécresse

Pour « réformer » le monde difficile de la recherche scientifique et technique, Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur, a proposé, lundi 20 octobre, un plan de revalorisation des carrières scientifiques. Il faut dire que la perspective de toucher à peine plus de 1600 euros par mois, à plein temps, comme seul salaire de huit à dix années d'études et de recherches, c'est assez peu motivant lorsque l'on compare cela aux salaires des secteurs bancaires, du commerce ou de l'industrie, qui tous bénéficient largement des progrès scientifiques obtenus douloureusement par les chercheurs. Il fallait donc que la recherche sorte de l'ornière et de l'obscurité dans laquelle l'avait jeté le culte de la performance et du profit.
La solution proposée par Valérie Pécresse est simple. Puisque la recherche est en dehors du système de la performance et du rendement, il suffit de l'y remettre... Pour cela, le plan de revalorisation des carrières se fera au mérite. Comme les bons élèves à l'école, ce sont les meilleurs qui seront récompensés ou plutôt compensés d'une prime annuelle de 3 500 à 15 000 euros par an ! Pour les autres, ceux dont les travaux nécessitent plus de collégialité, plus de temps, de moyens, dont les résultats immédiats sont invisibles, il n'y aura rien, ou plutôt encore moins.
Qui plus est, les critères de sélection de cette « méritocratie », terme de Jean Fabbri, secrétaire général du syndicat majoritaire de l'enseignement supérieur (SNESUP), ne viennent pas de la sphère des chercheurs. Ils sont imposés par les artisans du « plan » qui ont décidé d'un budget total pour cette opération de 250 millions d'euros, soit environ 1% du budget global accordé au ministère de l'enseignement supérieur, débité sur trois ans (avec seulement 43 millions la première année). Inutile de comparer ce budget avec celui de la défense, de la justice (dont 235 millions pour la réforme des établissements pénitentiaires) ou de l'intérieur.
Ce plan arrive en même temps qu'une suppression de 900 postes dans le secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche, un déficit budgétaire record pour 2009 de 49 milliards d'euros et une crise financière mondiale qui oblige les pouvoirs publics à venir au secours des « excellents » élèves de la finance et de la banque.
L'esprit de recherche implique que l'on soit capable de mesurer l'impact des actions d'aujourd'hui sur l'avenir des individus, des sociétés et de l'environnement qui les supportent. Ainsi, à force d'étude du patrimoine culturel et scientifique, de recherches dans les terrae incognitae de notre savoir, de notre planète ou de notre univers, sommes nous capables de prévoir l'avenir, de le façonner et d'y trouver des solutions à des problématiques critiques qui menacent notre existence. L'énergie renouvelable, l'industrie propre, la longévité et la santé des individus, la stabilité démocratique et économique, l'éthique et les droits de l'homme se fondent sur l'esprit de recherche et sur son produit. Ce produit a une valeur inestimable qui ne peut être inférieure à celle de la répression, de la guerre ou du profit.
Il est du devoir du Souverain de protéger le peuple et le pays. Cette protection n'implique pas l'amputation des qualités et des possibilités de ce même peuple, ni d'entamer de manière radicale ses perspectives futures. Ainsi il est de la responsabilité du Souverain de permettre aux Maîtres de mener leur mission dans les meilleures conditions possibles et de ne pas juger de la qualité de leurs efforts ni de la performance ou du rendement de leurs produits. Seule l'Histoire peut nous donner des réponses sur l'efficacité de telle ou telle recherche, de tels ou tels travaux. Or le Souverain ne saurait se substituer à la marche de l'Histoire, sauf au péril de se transformer en pouvoir totalitaire.
La recherche fondamentale est la pierre de touche du progrès scientifique et humain. Toutes les autres disciplines lui sont tributaires comme autant de rivières d'un même fleuve démesuré. Elle hérite de l'ensemble du travail effectué par tous ceux qui nous ont précédé et qui les uns, rares, ont produit des découvertes prodigieuses, et les autres, majorité de l'ombre, éliminé les chemins de traverse. Car ce sont sur les échecs et la communauté de tous les travaux que se sont construits les progrès actuels. Jean Fabbri décrit cette réalité d'une manière limpide : « La ministre souhaiterait individualiser la profession et nous mettre tous en concurrence. C’est d’une bêtise absolue. C’est la collégialité qui prime dans la recherche et l’enseignement (...). » (France Soir, 21-10-2008, p. 9)

dimanche 19 octobre 2008

Répétition du Karma pour Xavier Darcos

Il semble que la charge de ministre de l'éducation nationale soit la première ligne de front du rapport de force entre la puissance publique et l'appareil institutionnel républicain. Quoi de plus républicain, de plus symbolique de l'institution publique française que l'école, et à travers elle, le système d'éducation instauré depuis plus d'un siècle dans notre pays ? C'est donc là que se cristallisent toutes les luttes entre les factions productrices de futures élites et futurs électeurs. D'un côté, il y a les gouvernants, les élus du peuple, qui croient détenir la volonté des nombreuses composantes de la population. De l'autre, il y a les agents de l'institution qui exécutent les ordres et les opérations de terrain, se confrontant au réel. Les uns pensent avoir raison du pouvoir conféré par la multitude, les autres affirment sur la base de l'expérience concrète que les premiers ont tort.
Le conflit est inévitable. Le karma se répète encore et encore...
Depuis presque trente ans, parents, maîtres et élus s'accordent généralement sur la nécessité d'une transformation des institutions scolaires et universitaires afin de les faire coïncider avec les changements sociaux, culturels et techniques qui ont bouleversé et continuent de bouleverser le monde. Mais depuis plus longtemps encore, les trois composantes, qui ont pour responsabilités de nourrir, former et protéger les générations futures, poursuivent une guerre continuelle selon des schémas stériles et parfois contre-productifs.
Toutes tendances confondues, gauche, droite, centre, tous les ministres de l'Education Nationale sont allés « au feu » et presque tous ont été, à un point ou à un autre de leurs tentatives de réformes, désavoués d'abord par le public (les parents et leurs enfants), puis par le corps enseignant (les maîtres et leurs élèves) et finalement par ceux-là même qui leur avaient donné le feu vert de la réforme, les gouvernants (élus et administrés). Malgré cette répétition évidente et régulière des mêmes événements, personne ne semble remarquer le cercle vicieux dans lequel la société française toute entière est emprisonnée. Tout le monde recommence, à intervalle d'une joute par mandat présidentiel, son manège et ses combats avec plus ou moins de manifestations, de manifestants, de coups et de jets de projectiles divers, pour finalement arriver à des lambeaux de mesures qui n'ont pas le temps d'être déployées qu'elles sont déjà rendues obsolètes par une nouvelle série de réformes imaginée par une nouvelle vague gouvernementale.
Cette année, c'est M. Xavier Darcos qui s'y colle. Après les Savary, Devaquet, Bayrou, Jospin, Soisson, Beulac, Allegre, Ferry, Peyrefitte ou Chevenement, M. Darcos imagine qu'il dispose d'une réelle opportunité de réforme tant les parents sont excédés par la dégradation de la formation de leurs enfants, tant la société est fatiguée de la crise qui n'en finit pas, tant les gens en ont marre des statuts sociaux spéciaux de la fonction publique et notamment de ceux de l'enseignement. Malheureusement M. Darcos semble tout ignorer du bouddhisme et du principe du karma. Mais que vient faire le bouddhisme là dedans, me direz-vous ?
Le bouddhisme enseigne que le karma est construit par les pensées, les paroles et les actes de tous les individus existants. Comme toute production humaine, il se cristallise et s'organise autour de tendances, toujours plus fortes, et de cycles, de plus en plus répétés. Chaque année, notre population augmente et la force du karma s'accroît. Le karma, pour ainsi dire, ne connaît pas de baisse de la croissance, car ceux qui nous ont précédé font peser sur nous leur propre karma, par delà même leurs disparitions. Devant une telle masse, les individus seuls ne peuvent plus faire face. Il devient alors nécessaire d'organiser la solidarité entre les composantes antagonistes de la société pour réussir une quelconque révolution des institutions. C'est à ce karma que fait face le ministre.
Le gouvernement a été capable d'organiser et de boucler un Grenelle de l'environnement. Pourquoi n'y a-t-il pas un Grenelle de l'éducation nationale ? D'authentiques assises et débats publics sur l'éducation et ses conséquences pour l'avenir d'une nation ? Malheureusement, ce n'est pas la voie suivie par M. Darcos et son gouvernement. Suivant le principe du karma, l'issue de ce choix est déjà enregistrée dans la mémoire individuelle de chaque citoyen et dans la mémoire collective de la société française : manifestations, grèves, contradictions, échec... encore... et encore...
Alors quand verrons-nous des hommes et des femmes considérer l'éducation de nos enfants comme un enjeu économique crucial et de long terme ? Peut-être faut-il que la finance mondiale s'effondre totalement et que le capitalisme se casse la figure une bonne fois pour qu'enfin le karma change. Les individus apprennent souvent de leurs échecs et changent ainsi leur karma, mais apparemment pas tous.