dimanche 19 octobre 2008

Répétition du Karma pour Xavier Darcos

Il semble que la charge de ministre de l'éducation nationale soit la première ligne de front du rapport de force entre la puissance publique et l'appareil institutionnel républicain. Quoi de plus républicain, de plus symbolique de l'institution publique française que l'école, et à travers elle, le système d'éducation instauré depuis plus d'un siècle dans notre pays ? C'est donc là que se cristallisent toutes les luttes entre les factions productrices de futures élites et futurs électeurs. D'un côté, il y a les gouvernants, les élus du peuple, qui croient détenir la volonté des nombreuses composantes de la population. De l'autre, il y a les agents de l'institution qui exécutent les ordres et les opérations de terrain, se confrontant au réel. Les uns pensent avoir raison du pouvoir conféré par la multitude, les autres affirment sur la base de l'expérience concrète que les premiers ont tort.
Le conflit est inévitable. Le karma se répète encore et encore...
Depuis presque trente ans, parents, maîtres et élus s'accordent généralement sur la nécessité d'une transformation des institutions scolaires et universitaires afin de les faire coïncider avec les changements sociaux, culturels et techniques qui ont bouleversé et continuent de bouleverser le monde. Mais depuis plus longtemps encore, les trois composantes, qui ont pour responsabilités de nourrir, former et protéger les générations futures, poursuivent une guerre continuelle selon des schémas stériles et parfois contre-productifs.
Toutes tendances confondues, gauche, droite, centre, tous les ministres de l'Education Nationale sont allés « au feu » et presque tous ont été, à un point ou à un autre de leurs tentatives de réformes, désavoués d'abord par le public (les parents et leurs enfants), puis par le corps enseignant (les maîtres et leurs élèves) et finalement par ceux-là même qui leur avaient donné le feu vert de la réforme, les gouvernants (élus et administrés). Malgré cette répétition évidente et régulière des mêmes événements, personne ne semble remarquer le cercle vicieux dans lequel la société française toute entière est emprisonnée. Tout le monde recommence, à intervalle d'une joute par mandat présidentiel, son manège et ses combats avec plus ou moins de manifestations, de manifestants, de coups et de jets de projectiles divers, pour finalement arriver à des lambeaux de mesures qui n'ont pas le temps d'être déployées qu'elles sont déjà rendues obsolètes par une nouvelle série de réformes imaginée par une nouvelle vague gouvernementale.
Cette année, c'est M. Xavier Darcos qui s'y colle. Après les Savary, Devaquet, Bayrou, Jospin, Soisson, Beulac, Allegre, Ferry, Peyrefitte ou Chevenement, M. Darcos imagine qu'il dispose d'une réelle opportunité de réforme tant les parents sont excédés par la dégradation de la formation de leurs enfants, tant la société est fatiguée de la crise qui n'en finit pas, tant les gens en ont marre des statuts sociaux spéciaux de la fonction publique et notamment de ceux de l'enseignement. Malheureusement M. Darcos semble tout ignorer du bouddhisme et du principe du karma. Mais que vient faire le bouddhisme là dedans, me direz-vous ?
Le bouddhisme enseigne que le karma est construit par les pensées, les paroles et les actes de tous les individus existants. Comme toute production humaine, il se cristallise et s'organise autour de tendances, toujours plus fortes, et de cycles, de plus en plus répétés. Chaque année, notre population augmente et la force du karma s'accroît. Le karma, pour ainsi dire, ne connaît pas de baisse de la croissance, car ceux qui nous ont précédé font peser sur nous leur propre karma, par delà même leurs disparitions. Devant une telle masse, les individus seuls ne peuvent plus faire face. Il devient alors nécessaire d'organiser la solidarité entre les composantes antagonistes de la société pour réussir une quelconque révolution des institutions. C'est à ce karma que fait face le ministre.
Le gouvernement a été capable d'organiser et de boucler un Grenelle de l'environnement. Pourquoi n'y a-t-il pas un Grenelle de l'éducation nationale ? D'authentiques assises et débats publics sur l'éducation et ses conséquences pour l'avenir d'une nation ? Malheureusement, ce n'est pas la voie suivie par M. Darcos et son gouvernement. Suivant le principe du karma, l'issue de ce choix est déjà enregistrée dans la mémoire individuelle de chaque citoyen et dans la mémoire collective de la société française : manifestations, grèves, contradictions, échec... encore... et encore...
Alors quand verrons-nous des hommes et des femmes considérer l'éducation de nos enfants comme un enjeu économique crucial et de long terme ? Peut-être faut-il que la finance mondiale s'effondre totalement et que le capitalisme se casse la figure une bonne fois pour qu'enfin le karma change. Les individus apprennent souvent de leurs échecs et changent ainsi leur karma, mais apparemment pas tous.

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